N° RG 21/03988 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I45Y
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 15 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
20/02640
Tribunal judiciaire de Rouen du 13 septembre 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. BC AUTOMOBILES
69 bis rue de Cantinier
36330 LE POINCONNET
représentée et assistée par Me Marie-Pierre NOUAUD de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me Karine MAUREY-THOUOT,
INTIMEE :
MATMUT
66 rue de Sotteville
76100 ROUEN
représentée et assistée par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de ROUEN plaidant par Me Adrien LAHAYE,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 9 janvier 2023 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
M. Jean-François MELLET, conseiller
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Delphine VESPIER,
DEBATS :
A l’audience publique du 9 janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 15 mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
* * *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte d’huissier du 24 juillet 2019, la Sarl BC Automobiles, exploitant un garage non agréé par la Matmut, a fait assigner cette dernière devant le tribunal judiciaire de Chateauroux aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 8 177,50 euros, en règlement de créances nanties, correspondant à plusieurs factures de réparation émises au nom d’assurés de cette mutuelle.
Par jugement du 29 mai 2020, le tribunal judiciaire de Chateauroux s’est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Rouen.
Par jugement du 13 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Rouen a débouté la Sarl BC automobiles et l’a condamnée aux dépens outre une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration reçue au greffe le 15 octobre 2021, la Sarl BC Automobiles a interjeté appel de la décision.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 16 décembre 2021, la Sarl BC Automobiles demande à la cour d’infirmer le jugement et statuant à nouveau de condamner la Matmut à lui payer les sommes suivantes :
- 8 177,50 euros en principal outre les intérêts légaux, ceux-ci multipliés par 3 à compter du 22 janvier 2019 jusqu’à complet paiement ;
- 40 euros au titre de la pénalité forfaitaire de retard ;
- 2 000 euros au titre des dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- 5 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle soutient en substance ce qui suit :
- le choix du réparateur automobile pour un assuré voulant procéder à la réparation de son véhicule est libre ;
- elle a effectué des réparations sur demande de plusieurs assurés de la Matmut qui lui ont consenti un nantissement sur l’indemnité d’assurance ;
- cette pratique n’est pas frauduleuse ;
- les dispositions du code civil en matière de nantissement ont été respectées ;
- au moment de la conclusion de ces conventions, elle ne pouvait présager de la défaillance de ses clients dans le règlement de leurs factures ;
- la convention prévoit, en cas de désaccord, la réalisation d’une expertise amiable contradictoire, de sorte que le montant de l’indemnité d’assurance n’est pas fixé arbitrairement par le réparateur ;
- elle n’est pas tenue de rapporter la preuve de diligences infructueuses auprès des débiteurs principaux.
Par dernières conclusions notifiées le 9 mars 2022, la Matmut demande à la cour, au visa des articles 1134, 1103 et 1353 du code civil, de confirmer le jugement et débouter en conséquence la Sarl BC Automobiles de toutes ses demandes, à titre subsidiaire,
- ordonner la mise en place d’une expertise amiable, conformément aux termes des conditions générales ; en tout état de cause,
- condamner la Sarl BC Automobiles à la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle soutient en substance ce qui suit :
- un nantissement effectué en fraude des droits d’une partie ou d’un tiers, encourt la nullité, en application de l’adage “fraus omnia corrumpit” ;
- le mécanisme du nantissement de créance est frauduleux car il permet à l’assuré de se libérer, au bénéfice d’un réparateur non agréé, des stipulations contractuelles, notamment celles relatives au règlement des indemnités ;
- la fraude à la loi est constituée par la démonstration de la volonté du créancier nanti de se soustraire à la force obligatoire du contrat d’assurance passé entre l’assureur et l’assuré ;
- la Sarl BC Automobiles n’étant pas agréée, et ne l’ignorant pas, le règlement de l’indemnité d’assurance aurait dû être réalisé directement entre les mains de l’assuré, ayant choisi un opérateur non agréé ;
- la convention de nantissement permet de contourner cette pratique en obtenant le paiement directement de la part de l’assureur, sans avoir à solliciter le règlement de la facture par le débiteur principal et de contourner une éventuelle expertise pour contester le montant des réparations ;
- la convention de nantissement permet ainsi à la Sarl BC Automobiles d’imposer son prix ;
- une expertise amiable est nécessaire, conformément aux conditions générales du contrat d’assurance.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2022.
MOTIFS
Sur la créance de l’appelante
Si la fraude corrompt tout, il revient à celui qui l’invoque de la prouver.
En application de l’article 63 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, tout contrat d’assurance souscrit au titre de l’article L. 211-1 mentionne la faculté pour l’assuré, en cas de dommage garanti par le contrat, de choisir le réparateur professionnel auquel il souhaite recourir. Cette information est également délivrée, dans des conditions définies par arrêté, lors de la déclaration du sinistre. L’assuré dispose du libre choix du professionnel afin d’assurer les réparations de son véhicule.
Le libre choix du réparateur par l’assuré est consacré par des dispositions d’ordre public. Il implique notamment que l’assuré peut librement céder la créance qu’il détient contre l’assureur, ce qui lui évite, au moins partiellement, de faire l’avance des frais.
Ainsi, en application de l’article L. 211-5-2 du code des assurances, issue de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, sont nulles les clauses par lesquelles l’assureur interdit à l’assuré, en cas de dommage garanti par un contrat d’assurance souscrit au titre de l’article L. 211-1, la cession à des tiers des créances d’indemnité d’assurance qu’il détient sur lui.
En application des articles 2355 et suivants du code civil, le nantissement, s’il n’opère pas cession, est l’affectation, en garantie d’une obligation, d’un meuble incorporel, présent ou futur. Le créancier nanti bénéficie d’un droit de rétention sur la créance donnée en nantissement et a seul le droit à son paiement tant en capital qu’en intérêt. Le débiteur de la créance nantie peut opposer au créancier nanti les exceptions inhérentes à la dette. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le constituant avant que le nantissement ne lui soit devenu opposable.
La Matmut soutient que la pratique du nantissement serait frauduleuse et la priverait de l’exercice de ses droits :
- en permettant à un réparateur non agréé de recevoir le paiement de l’indemnité, alors qu’aux termes de la police applicable, le règlement doit intervenir directement entre les mains de l’assuré ;
- en permettant à un réparateur non-agréé de solliciter le règlement de l’indemnité sans avoir à solliciter le règlement de sa facture par le débiteur principal ;
- en lui permettant d’imposer son prix quant aux réparations, notamment en contournant les dispositions contractuelles qui prévoient l’organisation d’une expertise amiable en cas de contestation.
Le nantissement de l’indemnité d’assurance au profit du réparateur agréé n’est pas constitutif d’une fraude en son principe.
La Matmut n’explique d’ailleurs pas en quoi les effets de cette pratique, qu’aucune disposition légale ou contractuelle n’interdit, lui seraient davantage préjudiciables que la cession de créance, que la loi autorise expressément par le biais de dispositions d’ordre public, et dont aucune stipulation contractuelle ne peut limiter l’exercice.
Les dispositions contractuelles selon lesquelles le paiement doit intervenir entre les mains de l’assuré ne sont pas de nature à préjudicier frauduleusement aux intérêts de l’assureur. Elles ne sauraient davantage être opposées au créancier nanti qu’au cessionnaire. La solution inverse apporterait une restriction injustifiée au libre choix du réparateur par l’assuré.
Le moyen tiré de l’absence de procédure de recouvrement préalable n’est pas davantage fondé en matière de nantissement qu’en matière de cession de créance. En toute hypothèse, l’article 3 des actes de nantissement conventionnels versés aux débats prévoit que l’assuré se reconnaît débiteur de la facture de réparation qui lui est adressée par voie postale ou remise en main propre, et qu’il dispose d’un délai de 48 heures à compter de cette remise pour procéder au règlement. L’article 4 confirme que le recours à la créance nantie ne peut intervenir qu’à défaut de paiement total ou partiel par l’assuré de la créance garantie dans un délai de 48 heures.
Enfin, le moyen tiré de la possibilité supposée, pour le réparateur non agréé, d’imposer son prix, ne correspond pas aux mécanismes contractuels. Si l’assuré se reconnaît débiteur du montant de la facture de réparation, c’est-à-dire de la créance garantie, le montant de la créance nantie, soit l’indemnité due par l’assureur, n’est pas fixée par les parties au nantissement. L’article 4 précise d’ailleurs bien que le montant de l’indemnité d’assurance vient s’imputer sur le solde de la créance de réparation. L’article 6 prévoit expressément que le solde subsistant après imputation de l’indemnité d’assurance est immédiatement exigible auprès de l’assuré, et non de l’assureur. L’article 2 précise enfin que les réparations nécessaires sont déterminées “ d’un commun accord avec l’expert de la compagnie d’assurance, ou suivant les conclusions d’une expertise amiable contradictoire”.
Ces dispositions ne sont pas en contradiction avec l’article 30 des conditions générales du contrat d’assurance selon lesquelles le “ coût et la méthodologie des réparations sont déterminées de gré à gré et, si besoin, à dire d’expert”.
En vertu de ces mécanismes, l’assureur ne se voit pas imposer le montant de l’indemnité, et peut contester les sommes qui lui sont réclamées au titre de la créance de réparation, au bénéfice des barèmes estimatifs dont il dispose et d’une expertise amiable le cas échéant.
La Matmut le reconnaît d’ailleurs elle-même, en page 10 des conclusions signifiées, lorsqu’elle indique que le nantissement “n’empêche pas la MATMUT de procéder par comparaison aux prix habituellement pratiqués, tel que ses dispositions contractuelles le prévoient. De plus, la convention prévoit que seul le montant des travaux, fixé par l’expertise, constitue la montant de la créance”.
Il n’existe donc aucune fraude et la décision sera infirmée de ce chef.
La Matmut soutient à titre subsidiaire que le nantissement serait inefficace à raison du non-respect des conditions prévues par la loi ou le contrat. Elle reprend ici le moyen tiré de l’absence de procédure de recouvrement à l’égard du débiteur principal.
Toutefois, ainsi qu’il a été relevé plus haut, en application des dispositions contractuelles, la défaillance du débiteur est constituée à raison du non-paiement spontané dans les 48 heures de la remise de la facture. Le paiement est exigible de plein droit passé ce délai sans mise en demeure.
Aucune des dispositions légales ou contractuelles invoquées ne prévoit l’envoi, par le créancier garanti, d’une mise en demeure à l’encontre du débiteur principal.
Il ne peut être davantage exigé du créancier nanti qu’il apporte la preuve négative de l’absence de paiement direct par l’assuré. L’assureur, qui soutient ce moyen, n’émet d’ailleurs ici qu’une hypothèse et n’a pas appelé en la cause ni interrogé ses assurés sur ce point.
A titre très subsidiaire, l’assureur soulève l’application de l’article 8 de la loi n° 76- 519 du 15 juin 1976. Selon ce texte, le débiteur actionné en vertu d’une copie exécutoire peut opposer au créancier titulaire les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le créancier antérieur, sauf si le créancier qui a acquis la créance a agi sciemment à son détriment. Il en déduit que l’indemnité d’assurance ne peut excéder le montant déterminé par voie d’expertise amiable sous déduction de la franchise.
Outre que ce texte, qui concerne les copies exécutoires à ordre, n’est pas applicable aux nantissements conventionnels, la possibilité d’une expertise amiable n’est pas contestée par l’appelante : elle est même prévue par l’acte de nantissement conventionnel.
Il ne résulte pas des débats que la Matmut aurait sollicité ce type de mesure et, en toute hypothèse, la cour d’appel n’a pas le pouvoir de l’ordonner.
La cour relève d’ailleurs que la Matmut, par courrier du 12 janvier 2017, a contesté certains postes mineurs facturés dans un des dossiers (pièce n°6), les expliquant par des erreurs. Elle ne sollicite pas de la cour qu’elle tranche cette contestation, ni ne justifie d’aucune contestation dans les 11 autres dossiers, ni d’aucune demande au titre d’une expertise amiable.
Il n’y a donc pas lieu de faire droit à cette demande.
La même solution s’impose s’agissant du fondement infiniment subsidiaire tiré de l’article 30 des conditions générales.
Le montant de la créance en principal n’est pas contesté. Le créancier verse les douze conventions de nantissement accompagnées des pièces justificatives d’usage, la preuve de leur notification, les déclarations de sinistres, les ordres de réparations, factures et mises en demeure, la dernière datée du 22 janvier 2019 portant sur la somme de 8 177, 34 euros.
Aucun fondement n’est démontré ni allégué au soutien de la demande en triplement du taux d’intérêt et en paiement d’une pénalité de retard.
Le montant de la condamnation sera donc limité à la somme de 8 177, 34 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2019.
Sur les mesures accessoires
La demande fondée sur le caractère abusif de la résistance opposée par la Matmut sera rejetée à défaut de préjudice démontré distinct du retard à paiement.
Au regard de l’issue du litige, les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles doivent être infirmées.
La Matmut succombe et sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, outre une somme pour frais irrépétibles qu’il est équitable de fixer à 4 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, hors exécution provisoire ;
Statuant à nouveau,
Condamne la Matmut à payer à la Sarl BC Automobiles la somme de 8 177,34 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2019 ;
Condamne la Matmut à payer à la Sarl BC Automobiles la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la Matmut au dépens de première instance et d’appel.
Le greffier, La présidente de chambre,
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